Christian Rizzo construit une maison chorégraphique suspendue
Christian Rizzo revient à Chaillot, avec une cérémonie pour quatorze danseurs sous une structure lumineuse stupéfiante. Une sorte de rituel de passage, un tendre adieu à un être cher qui ouvre sur la fête et nous parle du besoin de chacun de s’ancrer quelque part, entre le ciel et la terre.
une maison est un chef-d’œuvre chorégraphique et plastique. Chaque élément y paraît infiniment léger, malgré l’ambiance nocturne et peut-être mélancolique, ambiance portée par – chose rare – la présence de quatorze danseurs, jouissant d’une liberté de mouvement totale, malgré une scénographie aussi volumineuse que certaines réalisations de Peter Pabst pour Pina Bausch. Mais cette scénographie fascinante est entièrement suspendue, au-dessus de leurs têtes. Avec Rizzo, ça plane…
Lune intense
Le voilà invité par Chaillot – Théâtre national de la Danse et le Théâtre de la Ville (dans le cadre de la programmation hors les murs / Le Théâtre dans la Ville) à installer son drôle de chantier sur le plateau de la grande salle Jean Vilar. Sous une lune intense, une maison commence par la solitude d’un homme sur un vaste terrain blanc. Au-dessus, s’élève une sorte de canopée faite de tubes lumineux. Longiligne, parfaitement droit, l’homme se recueille à la verticale, entre terre et ciel. Bientôt une femme va le rejoindre, tel un souvenir. Autour d’eux, la communauté va se construire, pour une sorte de cérémonie ou de fête où les corps se chargent mutuellement d’énergie.
Rave nocturne
Un tas de terreau, conique, attend patiemment avant d’être dispersé par les coups de pelle pour transformer ce sol blanc en champ, aussitôt labouré par les pieds des danseurs, comme dans une rave party nocturne. On est libres et on danse comme dans un conte, en cercle ou en unissons libres, on se tient par la main ou on vrille, en levant les bras en direction du ciel. Car une maison est une pièce zen et festive à la fois, tel un rituel de passage.
Fantômes
À la fin, les costumes prennent des couleurs et des masques animaliers ou des chapeaux coniques apparaissent sur les têtes et au sol apparaît un fantôme blanc, saluant le cercle de ceux qui s’apprêtent à construire, ensemble, une idée de réconfort : une maison peut-être, ou un rhizome de relations. Le geste du terreau lancé en l’air et à travers l’espace consacre une sépulture, prépare des travaux de construction, relance le cycle de la vie et annonce un soulagement général.
Soie d’araignée illuminée
Christian Rizzo est chorégraphe, ça va de soi. Mais il est aussi plasticien et scénographe. C’est même par les arts plastiques qu’il est venu à la danse. Mais jamais il n’avait réalisé une construction aussi surprenante et audacieuse. Fine et tendre, voilà donc une voûte céleste qui illumine le ciel de ses triangles, tel un gigantesque rhizome. Comme si elle était faite de soie d’araignée, la toile est traversée par les animations lumineuses les plus diverses, du scintillant au tamisé, couvrant tout l’espace aérien au-dessus des danseurs sur, au bas mot, une dizaine de mètres de large et une hauteur d’environ cinq mètres.
Savants équilibres
Faut-il être fou pour relever un défi pareil ? Au moins un peu, probablement. Car une telle structure aurait, selon toutes les lois de la science scénique, la plus méchante tendance à écraser la présence des danseurs, d’autant plus que les interprètes sont ici plutôt sous-exposés, évoquant parfois des ombres vivantes ou des bestioles fourmillant au sol. Mais paradoxalement, la structure omniprésente révèle leur présence au lieu de la dissimuler. L’étonnante alchimie est due à un savant équilibre entre le geste dansé et le geste plastique, entre le sol et le ciel, sphère rarement mise en valeur par un art chorégraphique qui privilégie le sol.
Thomas Hahn
Spectacle créé à Bonlieu, Scène Nationale d’Annecy, le 5 mars 2019
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